Vous connaissez forcément ce sentiment : un dimanche après-midi d’automne, vos doigts parcourent la télécommande à la recherche d’un programme digne de votre ennui, puis vous tombez enfin nez à nez avec un documentaire sur les fonds marins. Et alors, impossible de décrocher. Cette terra incognita qui défile sous vos yeux est si singulière qu’elle en devient fascinante. Ici, le sublime côtoie le bizarre, le cruel côtoie le comique. Le relief, les couleurs, la faune, la flore, tout est cohérent et contradictoire à la fois, comme si l’océan tentait, avec succès, de résumer l’univers. Il est inconcevable de tout aimer évidemment (certains poissons sont vraiment bien trop laids), mais vous ne pouvez détourner vos yeux de l’écran.
Vous voyez où je veux en venir ?
Il en va de même pour Aquaman, un film si généreusement imparfait que ses grandioses qualités parviennent à légitimer ses effroyables défauts. On est beaucoup plus proche des M&M’s Peanut Butter que des macarons Pierre Hermé, mais nom d’une pipe en bois, les M&M’s Peanut Butter c’est quand même une tuerie.
Donc oui, Aquaman est outrageusement fun. Et parfois sublime. Et souvent fou.
Et, à l’image des océans dont il s’inspire, il est bourré de failles.
Mais au-delà des critiques faciles, ce que l’on retiendra avant tout c’est la sincérité de James Wan, de ses équipes, de son casting. Leur enthousiasme est une contagion, ce qui rend leur démarche d’autant plus louable. Finalement Aquaman, c’est un peu le rejet d’un certain cynisme hollywoodien.
Pourtant j’en conviens, ses défauts sont justement purement hollywoodiens. Néanmoins, ils servent tous un propos, et c’est là que le film se démarque.
D’abord, tel un enfant dissipé, le film est incapable de se concentrer un instant sur son sujet, mais il pose en filigrane une question bien plus large : est-il réellement nécessaire d’avoir un sujet ? Le sentiment d’appartenance, la difficulté de gouverner, l’antagonisme fraternel, la pollution des océans, etc., tout ça c’est du déjà-vu. D’une manière bien plus intelligente qu’il n’y paraît, Aquaman évite donc l’écueil de la condescendance et de la prétention, en se détachant des considérations que d’autres traiteront de toute façon bien mieux ailleurs.
Le second reproche que l’on peut faire au film, et sans doute le plus important, est son approche des dialogues. Même avec la meilleure volonté du monde, force est de constater qu’ils sont en effet vraiment, vraiment (vraiment) mauvais. Et une fois de plus, je ne pense pas que cela soit la vocation d’Aquaman en premier lieu. Personne de sensé n’entre dans la salle de cinéma avec l’espoir de découvrir un nouveau rival à The Social Network.
En définitive, aussi niais et stéréotypés soient-ils, les dialogues ont ici une fonction propre, qui est de participer à la construction de ce monde dénué de toute subtilité. Les mots deviennent alors le pendant des images : emphatiques, saturés, ronflants. C’est une manière comme une autre de contenir la cohérence du film, de l’empêcher d’éclater ; surtout, c’est l’occasion de se concentrer sur ce qui importe le plus au cinéma, à savoir ce que l’on voit.
Car enfin, la plus belle offrande d’Aquaman, c’est ce qu’il donne à voir. Et quelque part, quoi de mieux pour un personnage provenant justement d’un medium graphique ? Qu’est-ce qui rend les Batman de Tim Burton et les Hellboy de Guillermo del Toro si uniques en leur genre, et ce malgré leurs défauts respectifs ?
Ce que James Wan insuffle donc à son film, c’est une véritable identité visuelle. Et contrairement à une certaine concurrence estampillée Disney, efficace certes mais sans personnalité, c’est précisément ce que l’on attend des productions DC/Warner. Chaque film a besoin de respirer, de fonctionner indépendamment de son côté sans s’alourdir d’hypothétiques perspectives d’expansion. La mythologie est plus importante que la stratégie.
S’il y a bien une scène qui symbolise cette force visuelle, c’est sans conteste celle de l’arrivée à Atlantis. James Wan prend son temps pour nous dévoiler ce royaume hors du commun, aussi splendide qu’exotique, le tout servi par une musique absolument parfaite (on reviendra sur ce point un peu plus loin). On y retrouve le fameux « sense of wonder », ce sens de l’émerveillement cher aux nostalgiques du premier Jurassic Park (et qui le démarque de ses récentes abominations). La cité devient alors un monde de fantasmes dans lequel on souhaite se perdre instantanément. Pas besoin d’en faire plus pour générer de l’empathie, et surtout pas besoin d’ajouter des dialogues superflus. C’est toute la beauté du cinéma.
Les images de James Wan sont tour à tour spectaculaires (cette incroyable scène d’action en Sicile), absurdes (le fameux Easter Egg de la pieuvre qui joue des percussions), et même carrément bibliques (the Trench).
CarAquaman, c’est plusieurs films en un. Epopée, comédie romantique, film de cape et d’épée, tragédie shakespearienne (toute proportion gardée), film d’action, saga mythologique teintée de SF, à vous de choisir.
Les influences elles-mêmes sautent aux yeux : Star Wars, le Seigneur des Anneaux, Indiana Jones, Blade Runner, Lovecraft et les Kaijū japonais, en passant même par Ponyo de Miyazaki.
Et vous savez quoi ? Même si tout ne paraît pas toujours bien digéré, le monde d’Aquaman reste cohérent. On ne regarde pas un patchwork informe de situations génériques (n’est-ce pas Venom ?), bien au contraire. Le résultat final se tient, et cerise sur le gâteau, il parvient même à faire preuve d’une certaine intelligence narrative.
En effet, les flash-back sont particulièrement bien intégrés au récit, notamment grâce à certaines trouvailles visuelles qui rendent les transitions fluides et naturelles – ce que Man of Steel échouait justement à faire.
Mais évidemment, à l’image d’un Peter Jackson, James Wan ne peut s’empêcher de tomber dans les travers de sa propre démarche. Trop de tout, ça étouffe.
Et c’est là que la musique de Rupert Gregson-Williams se fait le symbole de ce constat. Sans une direction musicale précise, l'univers sensitif du film menace de partir dans tous les sens. Quant à ses mélodies balourdes et larmoyantes, elles sont autant de rappel que cette séculaire approche hollywoodienne est désormais dépassée.
Malgré tout, le compositeur se rattrape sur quelques belles inspirations (son clin d’œil à Vangelis notamment), mais l’ensemble reste incroyablement confus et l'on reste avec la sensation amère que cette schizophrénie musicale est un échec.
Et comme je suis un homme de goût, je ne mentionnerai pas ici l’utilisation douteuse de certaines chansons qui, l’espace d’un court instant, nous feraient presque regretter Suicide Squad (j’ai dit « presque »).
En clair, Aquaman se révèle être une bien curieuse créature, à mi-chemin entre stéréotypes obsolètes et imagerie mythologique – ou quand l’esprit des années 90 et la technologie des années 2010 s’entrechoquent. Pas étonnant donc que le film soit un succès en Chine (et même un record pour la Warner), puisque le marché chinois est justement le nouveau champ de bataille des grands studios.
Et même si les exigences de ce public parfois mal compris évoluent vite, force est de constater que la recette appliquée par James Wan et consorts est actuellement synonyme de succès.
Mais ceci est une autre discussion (que nous aurons bientôt).
En attendant, jouez la carte du fun et aller voir Aquaman.
Il y a des batailles avec des crabes géants, Mary Poppins donne sa voix à une créature quasi-divine, le costume de Black Manta est cool, et Mera est badass.
Que demande le peuple ?
Et maintenant, quelque chose de complètement différent :
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