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  • Photo du rédacteurThibault Merckel

Joker : beaucoup de bruit pour (presque) rien


Il existe un tas de façons d’entreprendre une critique de Joker : faut-il l’appréhender comme un film de super héros ? Comme un drame hyper violent ? Comme un thriller psychologique ? Comme une étude de personnage ? Comme une expérimentation ? Comme un hommage aux films de Scorsese ? Ou faut-il tout simplement considérer le film comme une œuvre lambda, et se débarrasser de tout référentiel encombrant ?


Peut-être se pose-t-on trop de questions. Pourtant, c’est ce que Joker provoque en vous : bien après le générique de fin, le film de Todd Phillips erre encore un long moment dans votre subconscient. Un peu comme un puzzle ultra sophistiqué dont vous chercheriez absolument à comprendre le sens, coûte que coûte. Mais voilà, à mesure que j’écris ces quelques lignes d’introduction, je réalise que toute la tragédie de Joker, c’est peut-être qu’il n’y a rien à aller chercher…


Reprenons de manière plus classique : Joker a tous les ingrédients d’un bon film. Et en un sens, c’est un bon film. La production (musique, décors, costumes, maquillages) est impeccable, le casting est irréprochable, et même la narration se targue parfois de belles trouvailles. Mais il y a un grain de sable dans la machinerie… et avec un peu de recul, ce grain de sable se révèle assez vite être un véritable caillou.


Donc oui, il existe un tas de façons d’entreprendre une critique de Joker, et voici la mienne : il y a le film qui se termine à 1h53, et il y a le film qui se termine à 1h56.


Le premier, malgré ses défauts, est captivant. Il met en scène l’origin story d’un des vilains les plus emblématiques de la culture américaine, tout en faisant fi de certains codes. Pourtant l’idée était casse-gueule : depuis toujours, le personnage du Joker se définit par son absence d’origine (et de nom), ce seul détail lui conférant justement une aura d’incertitude et, par extension, de chaos. Quelque part, son existence n’a donc de sens propre que par l’opposition qu’elle renvoie à Batman. À l'opposée de ce mythe, Todd Phillips et Scott Silver, les deux scénaristes à l’œuvre, prennent ainsi le pari de nous présenter un univers alternatif où le personnage ne serait plus une énigme, et où chacun de ses choix, chacune de ses actions, s’en retrouveraient rationalisés, justifiés, analysés, bref, prémâchés. L’écriture est d’ailleurs rarement subtile à ce sujet. Comme bien souvent à Hollywood, on sort sa boîte à outils scénaristiques et on explique l'esprit humain à grands coups de charabia psychologique, parce qu’on ne sait pas toujours faire avancer l’intrigue autrement.


Mais, au milieu de tout ça, il y a Joaquin Phoenix. Et, quoi que l’on puisse penser du film et de son idée initiale, force est de constater que l’acteur est (comme toujours) époustouflant. Il apporte au personnage une forme de cohérence dans son incohérence, une forme d’équilibre dans son déséquilibre. Tour à tour effrayant, tragique et charismatique, son Arthur Fleck est aussi viscéral qu’il est fascinant.


Enfin, il y a une chose que cette version d’1h53 réussit particulièrement bien, c’est son climax. Reprenant des thèmes chers à l’univers de Gotham City (les masques, les émeutes, les interruptions télévisées), Todd Phillips évite l’écueil du dernier acte bâclé et parvient à garder le cap sur le développement de son personnage et de ce qu’il finira toujours par représenter : le chaos. L’intensité des scènes est telle que l’espace d’un instant, cette nouvelle dystopie (quelque part entre Alan Moore et Frank Miller) paraît réelle. Pire encore : sous un certain angle, la dystopie paraît belle.


Si le film avait décidé de s’arrêter sur cette image quasi christique de son anti-héros, alors il aurait été plus aisé d’être indulgent avec ses fautes. Malheureusement, c’est à ce moment que Todd Phillips dérape et nous présente un épilogue qui souligne toutes les faiblesses de son scénario.


Car si l’on accepte assez vite qu’Arthur est un narrateur en qui on ne peut pas tout à fait avoir confiance, il est bien plus difficile de l’accepter de la part du réalisateur. En fait, Todd Phillips essaie ici de ménager la chèvre et le chou, et ça ne fonctionne pas : en nous répétant « ceci est une origin story » tout en suggérant que « ceci n’est pas une origin story », le cinéaste ne fait que nous donner l’illusion de ses choix. Et au final, il n’en fait aucun.


Voilà pourquoi, comme indiqué en introduction, Joker ne génère jamais la réflexion qu’il prétend générer. Une fois que votre cerveau aura fait le tri, rien n’en ressortira réellement. Les gens sont méchants. Le monde est violent. Ça, on le savait déjà – le cinéma aussi le sait, depuis plus d’un siècle. Et c’est pourtant tout ce que Todd Phillips parvient à nous raconter. Comme si, à l’image du spectacle d’Arthur Fleck, tout ceci n’avait été qu’une énorme blague… avec une très mauvaise chute.

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